Par Florence Buisson-Dehar / experte en écriture
Notre démarche se rapproche le plus possible d’une démarche scientifique », explique Florence Buisson-Debar, experte en écriture et documents qui collabore avec la justice. Elle est chargée de déterminer l’identité d’auteurs de documents ou de vérifier que ceux-ci ne sont pas falsifiés. « La première chose que nous faisons, c’est de s’assurer qu’il n’y a pas de numérisation, que l’encre est bien originale », détaille-t-elle.
Sandrine Lefranc-Loisel, l’une de ses consœurs, utilise du matériel dernier cri pour effectuer ces vérifications : « J’ai par exemple recours aux UV ou aux infrarouges, pour déterminer si un document est falsifié ou non. » Grâce à cela, elle peut déterminer qu’un 6 a été changé en 0 ou qu’une mention a été effacée. Sur son site internet, elle liste les outils utilisés pour ses expertises. On y trouve un microscope, des sources de lumière infrarouge ou encore des logiciels d’analyse d’images.
Ensuite, l’expert compare le support qui lui a été transmis à d’autres documents écrits par la personne supposée être l’auteur recherché. « On va tout vérifier, de la mise en page aux marges, pour voir comment la personne se projette sur la page. Tout est passé au crible, de la direction des lignes à l’orientation de l’axe des lettres, la dimension de celles-ci ou les liaisons qui les relient », reprend Florence Buisson-Debar. L’experte a un credo : aller du général vers le particulier. « Progressivement, on termine par les petits signes distinctifs, les accents, la ponctuation… » Le temps passé sur un document est généralement très long. « Pour une signature falsifiée, il est possible d’en avoir pour la journée. »
Quelle est la différence avec la graphologie ?
L’expertise en écriture est souvent confondue avec la graphologie. Cette technique d’analyse d’écriture est censée pouvoir déduire les caractéristiques psychologiques de la personnalité d’un individu d’après l’observation de son écriture. « Dans l’expertise en écriture, on n’interprète pas l’écriture de manière subjective. On se contente d’établir des rapports de comparaison entre documents », assure Florence Buisson-Debar. Cette discipline se rapproche d’une science dure, sans pour autant en être, assure-t-elle.
Les experts en écriture officient aussi bien avec des clients privés que dans le cadre d’enquêtes, à la demande de juges. « Une grande partie de ma clientèle est constituée de gens qui viennent à titre personnel. Ils vérifient, par exemple, qu’un testament n’est pas falsifié », indique Sandrine Lefranc-Loisel.
Pourquoi cette discipline est-elle controversée ?
Les experts en écriture sont intervenus dans des procès célèbres, comme l’affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, ou l’affaire Omar Raddad. Dans le cas d’Omar Raddad, accusé d’avoir tué sa patronne Ghislaine Marchal, deux inscriptions en lettres de sang « Omar m’a tuer » avaient été retrouvées sur la scène de crime. A l’époque, le premier compte-rendu d’expertise avance que ces lettres ont bien été tracées par la victime. Mais d’autres contre-expertises infirmeront cette hypothèse, semant le doute dans l’opinion publique.
L’expertise en écriture n’a pas empêché non plus l’une des erreurs judiciaires françaises les plus retentissantes, l’affaire Dreyfus. En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus est accusé de haute trahison. Un bordereau dérobé dans les bureaux de l’armée allemande montre qu’un Français transmet des renseignements à l’ennemi. Quatre experts se relaient pour comparer l’écriture du suspect à celle du bordereau. Le capitaine est reconnu coupable et condamné à la déportation au bagne. Gracié en 1899, il ne sera réhabilité qu’en 1906, après des années de combat de ses partisans pour prouver son innocence.
« Des cas médiatisés comme celui-ci ont fait que notre profession est décriée. L’opinion publique ne voit que les mauvais côtés et rarement les bons, alors que l’expertise en écriture a permis de dénouer pas mal d’affaires », s’emporte Sandrine Lefranc-Loisel. Mais cette pratique ne fait pas l’unanimité non plus du côté de la justice. « Il y a des magistrats qui ne supportent pas de désigner un expert en écriture, d’autres non », pointe Florence Buisson-Debar.
Pour elle, cette mauvaise presse est due aux lacunes dans la formation des experts en écriture. « Il n’existe pas une formation à proprement parler, mais plusieurs. » Même si, depuis quelques années, les choses évoluent, selon les expertes interrogées. La démarche, un peu artisanale il y a trente ans, est plus rigoureuse. Certaines universités proposent même un diplôme universitaire en analyse de documents et comparaison d’écritures manuscrites. C’est le cas de Paris-V, dont est diplômée Florence Buisson-Debar. « Mais comme le titre d’expert n’est pas protégé, certains n’ont pas de formation et leur niveau est très hétéroclite. »
Pour pouvoir intervenir dans des enquêtes judiciaires, les experts doivent toutefois montrer patte blanche. « Il faut être inscrit auprès de la cour et fournir plusieurs expertises, remplir un dossier et se présenter devant la cour d’appel où l’on réside », précise Florence Buisson-Debar. Une fois inscrits sur la liste, les experts peuvent être désignés par les magistrats à l’occasion de procès.
De plus, comme le rappelle Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature, les juges ont « tout à fait le loisir de dire qu’un expert a donné satisfaction ou non, et ne sont pas juridiquement tenus par ses conclusions ». Une contre-expertise peut également être demandée. « Si on se trompe, quelqu’un peut aller en prison. Il faudrait quand même un minimum de prérequis », tempête, de son côté, Florence Buisson-Debar. Elle espère que l’affaire du petit Grégory, qui remet l’expertise en écriture au centre du débat, permettra de mieux encadrer cette profession.