Projet de loi pour la confiance dans l’action publique

14 juin 2017 | Avis consultatif

Le Gouvernement a décidé de rendre public l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi pour la confiance dans l’action publique.

CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale

Séance du lundi 12 juin 2017

Section de l’intérieur
N° 393324

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

AMPLIATION RECTIFICATIVE

AVIS SUR UN PROJET DE LOI

pour la confiance dans l’action publique

1. Le Conseil d’État a été saisi le 31 mai 2017 d’un projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique. Une saisine rectificative a été transmise dans la soirée du 7 juin 2017 : elle reprend un grand nombre de remarques de fond et de modifications rédactionnelles transmises informellement par les rapporteurs du texte mais comporte également une disposition nouvelle habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour créer une « Banque de la démocratie ».

2. Ce projet de loi comporte cinq séries de dispositions regroupées en autant de titres. Le titre Ier étend l’obligation pour les juridictions répressives de prononcer une peine complémentaire d’inéligibilité pour les crimes et pour une série d’infractions relatives à la probité. Le titre II est relatif à la prévention des conflits d’intérêts au sein des assemblées parlementaires. Le titre III comporte des dispositions visant à interdire l’emploi de membres de la famille des membres du Gouvernement, des parlementaires et des élus locaux. Le titre IV est relatif au financement de la vie politique. Le titre V comporte des dispositions relatives aux représentants français au Parlement européen.

Le projet appelle de la part du Conseil d’État les observations suivantes.

3. L’étude d’impact du projet de loi, transmise seulement le 7 juin 2017, soit la veille de l’examen du projet par la section de l’intérieur, ne répond qu’en partie aux exigences de l’article 8 de la loiorganique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

En particulier, le Conseil d’État estime qu’elle doit être enrichie et complétée sur les points suivants :

– s’agissant du financement de la vie politique, les éléments de comparaison internationale ne sont guère développés et se bornent à des généralités, alors qu’ils auraient pu contribuer à mieux évaluer les pistes de réforme ;

– s’agissant des campagnes électorales, l’option consistant à envisager un versement forfaitaire en amont au bénéfice de chaque candidat, le cas échéant remboursable, n’est nullement évaluée alors qu’elle pourrait permettre, malgré la charge supplémentaire qu’elle créerait pour les administrations, de pallier les difficultés de trésorerie les plus fréquentes ;

– s’agissant de la mise en place d’un médiateur du crédit, l’étude est peu diserte quant aux moyens qui lui seront alloués, aux structures sur lesquelles il pourra s’appuyer, en particulier pour ce qui concerne le suivi des élections locales, et à l’articulation, pourtant nécessaire, de son action avec celle de la « Banque de la démocratie ».

4. Relevant que l’emploi, dans le titre du projet dont il est saisi, des termes « rétablissant la confiance dans l’action publique » est susceptible de donner lieu à des interprétations inappropriées, le Conseil d’État modifie le titre du projet pour le dénommer : projet de loi « pour la confiance dans l’action publique ».

Sur la peine d’inéligibilité en cas de crime ou de manquement à la probité

5. Le projet étend l’obligation pour les juridictions répressives de prononcer la peine complémentaire d’inéligibilité mentionnée aux 2° de l’article 131-26 du code pénal et à l’article 131-26-1 du même code, pour les crimes et pour une série d’infractions relatives à la probité. La peine complémentaire d’inéligibilité pour une durée de dix ans au plus est encourue pour les infractions mentionnées à la section III du chapitre II du titre III du livre IV du code pénal intitulée « Des manquements au devoir de probité », des infractions en matière de faux administratifs (faux et usage de faux dans un document administratif, détention de faux document administratif, faux et usage de faux en écriture publique ou authentique, fourniture frauduleuse de document administratif, fausse déclaration pour obtention indue d’allocation, prestation, paiement ou avantage, obtention frauduleuse de document administratif), des infractions en matière électorale (infractions relatives aux élections, aux listes électorales, au vote, au dépouillement, au déroulement du scrutin…), des infractions en matière fiscale (fraude fiscale aggravée), des infractions en matière de délits d’initiés, des infractions en matière de financement des partis politiques (financement des campagnes électorales et des partis politiques), enfin des manquements aux obligations déclaratives à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

6. La peine doit être prononcée explicitement par le juge par une décision spécialement motivée et celui-ci pourra l’écarter expressément en considération des circonstances de l’espèce. Dans ces conditions, le Conseil d’État estime que les dispositions du projet ne portent atteinte ni au principe de la nécessité des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ni à celui d’individualisation des peines, qui découle du précédent et qui implique que la peine ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

Sur la prévention et la cessation des conflits d’intérêts au sein des assemblées parlementaires.

7. Le projet de loi réécrit l’article 4 quater de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Il renvoie aux assemblées parlementaires le soin, après consultation de l’organe chargé de la déontologie parlementaire, de déterminer des règles internes de prévention et de traitement des « conflits d’intérêts entre un intérêt public et des intérêts privés » d’un parlementaire. Le Conseil d’État estime qu’il est loisible au législateur de modifier ainsi, comme il l’a fait à plusieurs reprises, l’ordonnance du 17 novembre 1958 et de renvoyer au règlement des assemblées le soin d’adopter des règles internes permettant,dans le respect du principe d’autonomie des assemblées parlementaires, de prévenir et de traiter les conflits d’intérêts.

8. Le Conseil d’État constate que la définition du conflit retenue par le projet (« conflits d’intérêts entre un intérêt public et des intérêts privés ») est plus étroite que celle retenue par l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 en ce qu’elle ne couvre pas les situations de conflits entre « un intérêt public et des intérêts publics ». Ce choix parait toutefois justifié par le souci de ne pas mettre les parlementaires exerçant d’autres responsabilités notamment électives les conduisant à détenir un « intérêt public », par exemple local, dans l’impossibilité récurrente de participer aux travaux du Parlement (commissions, séance publique, commission mixte paritaire, délégations et offices parlementaires).

9. Le projet prévoit que chaque député ou sénateur veille à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver. Ces dispositions privilégient une démarche individuelle et volontaire précédée, le cas échéant, de la consultation de l’organe chargé de la déontologie parlementaire.

10. Le projet prévoit également la tenue d’un registre accessible au public, recensant les cas dans lesquels « un parlementaire a estimédevoir ne pas participer aux travaux du Parlement ». Le Conseil d’État précise dans la rédaction que cette inscription, qui vise utilement à satisfaire un objectif de transparence et devrait être sans incidence sur l’éventuelle appréciation de la régularité des conditions d’adoption de la loi, est requise seulement si le déport est justifié par une situation de conflits d’intérêts à laquelle le parlementaire est, ou est susceptible, d’être exposé. La notion de participation aux travaux du Parlement recouvre la participation aux délibérations et aux votes du Parlement, aussi bien en commission qu’en séance publique.

Sur l’interdiction d’employer un membre de sa famille

11. Le projet de loi prévoit qu’il est interdit aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux autorités locales de compter parmi leurs collaborateurs leur conjoint (ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin), les membres de leur famille ou de celle de leur conjoint ainsi que les conjoints de ces derniers. La violation de l’interdiction serait pénalement punie de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende, assortie de l’obligation, pour le membre du Gouvernement ou l’élu concerné, de rembourser les sommes perçues par son collaborateur.

Le projet renvoie les modalités d’application de cette interdiction à un décret en Conseil d’État et, s’agissant des parlementaires, aux règlements des assemblées. Enfin, le projet prévoit les conditions dans lesquelles il est mis fin aux contrats en cours qui violeraient l’interdiction en question.

Le Conseil d’État considère que ces mesures sont justifiées par l’objectif d’intérêt général avancé par le Gouvernement, qui vise à accroître la confiance des citoyens dans l’action publique en renforçant les garanties de probité des responsables publics et en limitant les situations de conflit d’intérêts et les risques de népotisme.

En ce qui concerne les parlementaires et les autorités locales

12. L’interdiction faite aux parlementaires et aux autorités locales d’employer un membre de leur famille comme collaborateur constitue une atteinte au principe d’égalité d’accès aux emplois publics et à la liberté contractuelle. Toutefois, le Conseil d’État considère que cette interdiction est justifiée par l’objectif d’intérêt général mentionné ci-dessus.

Il convient cependant que la différence de traitement ainsi instaurée soit proportionnée à l’objectif poursuivi.

Le Conseil d’État considère qu’en renvoyant au pouvoir réglementaire et aux règlements des assemblées le soin de définir les membres de la famille des élus qui sont concernés par l’interdiction, le projet du Gouvernement ne satisfait pas à l’exigence constitutionnelle issue de l’article 34 de la Constitution selon laquelle la loi qui fixe les peines doit également définir en termes suffisamment clairs et précis les infractions auxquelles ces peines s’appliquent. Il revient également au législateur, lorsqu’il porte atteinte au principe d’égalité, de le faire dans des conditions qui garantissent que cette atteinte n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif qu’il poursuit.

Le Conseil d’État complète donc sur ce point les dispositions du projet relatives aux parlementaires et aux autorités locales. Il considère que l’interdiction, pour ne pas encourir un risque de disproportion, doit être limitée :

– au conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin de l’élu concerné ;

– à ses parents, enfants, frères et sœurs ainsi qu’à leur conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ;

– à ses grands-parents, à ses petits-enfants et aux enfants de ses frères et sœurs ;

– aux parents, enfants et frères et sœurs de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin.

13. S’agissant des parlementaires, le Conseil d’État précise également que l’interdiction d’employer un membre de la famille concerne leurs collaborateurs au sens du règlement de l’assemblée en cause, de façon à éviter une interprétation extensive de la loi qui ne correspondrait pas à l’intention du législateur.

14. S’agissant des autorités locales, le Conseil d’État prend acte du fait que cette interdiction n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, cette application, qui nécessite des dispositions particulières à ces collectivités, exigeant en tout état de cause une consultation à laquelle il n’a pas été procédé.

Il recommande au Gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires pour que l’interdiction puisse être appliquée à ces trois collectivités, la différence de traitement dont elles font l’objet n’ayant aucune justification.

En ce qui concerne les membres du Gouvernement

15. Le Conseil d’État considère que le principe de la séparation des pouvoirs découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, qui est applicable au Gouvernement comme l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011‑192 QPC du 10 novembre 2011, n’autorise pas le législateur à intervenir dans l’organisation du Gouvernement et, en particulier, dans celle des cabinets ministériels, qui relève du pouvoir réglementaire autonome de l’article 37 de la Constitution.

Toutefois, dès lors que l’interdiction faite aux membres du Gouvernement est assortie de peines correctionnelles, l’article 34 de la Constitution impose au législateur, ainsi qu’il est dit plus haut, de préciser à quelles infractions s’appliquent les sanctions en question.

Le Conseil d’État modifie en conséquence la rédaction du projet afin de laisser au pouvoir réglementaire le soin de décider si l’interdiction d’employer une personne de sa famille, telle qu’elle est définie par la loi pour les parlementaires et les élus locaux, s’applique aux membres du Gouvernement, tout en maintenant dans la loi les sanctions qui leur sont applicables en cas de violation de cette interdiction.

En ce qui concerne les conséquences sur les contrats en cours

16. Le projet de loi prévoit que les contrats en cours à la date de publication de la loi et qui méconnaissent l’interdiction qu’elle pose prennent fin de plein droit un mois après la même date.

Le Conseil constitutionnel juge que les atteintes portées à des situations contractuelles légalement acquises doivent être justifiées par un motif impérieux d’intérêt général (décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014) et qu’elles ne doivent pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles (décision n° 2001-453 DC du18 décembre 2001).

Le Conseil d’État considère que l’atteinte portée par le projet de loi aux situations contractuelles en cours est justifiée par le motif d’intérêt général mentionné au point 11. Il a toutefois porté à deux mois le délai dans lequel les contrats devenus illégaux doivent prendre fin, eu égard à l’importance de l’atteinte portée à la situation des personnes qui occupent les emplois en cause.

Sur le remboursement des frais de mandat des parlementaires

17. Le projet de loi organique rétablissant la confiance dans l’action publique, dont le Conseil d’État est saisi parallèlement au présent projet de loi, comporte une disposition ayant pour objet de substituer au mécanisme actuel de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) une règle de remboursement des frais de mandat réellement exposés sur présentation des justificatifs, dans des conditions définies par chaque assemblée. Le Conseil d’État estime que cette disposition ne relève pas du domaine de la loi organique en application de l’article 25 de la Constitution et, en conséquence, la retire du projet de loi organique pour l’introduire dans le présent projet de loi.

18. Le Conseil d’État relève que les instructions générales du bureau tant de l’Assemblée nationale que du Sénat comportent déjà des règles destinées à encadrer l’utilisation de l’IRFM : définition des dépenses justifiant l’utilisation de cette indemnité, interdiction de l’acquisition de biens immobiliers, obligation de reversement du reliquat non dépensé à la fin du mandat. Il souligne également que les organes chargés de la déontologie parlementaire tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat ont élaboré des lignes directrices destinées à guider les parlementaires dans l’usage de l’IRFM. Le Conseil d’État constate que les dispositions du projet de loi viennent renforcer cet encadrement, en substituant à un versement a priori d’une somme mensuelle soumise à des conditions d’utilisation fixées par les assemblées un remboursement a posteriori sur présentation de justificatifs.

19. Le Conseil d’État considère que le principe d’autonomie des assemblées parlementaires ne fait pas obstacle à ce que le législateur confie à ces assemblées le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les frais de mandat réellement exposés par les parlementaires leur sont remboursés sur présentation de justificatifs. Il complète le texte du projet pour prévoir qu’il appartient à chaque assemblée de déterminer également les plafonds de ces remboursements, estimant qu’une telle précision ne se heurte pas davantage au principe d’autonomie des assemblées, dont la liberté dans la fixation de ces plafonds est garantie.

20. Le Conseil d’État constate que cette disposition implique une modification de conséquence à l’article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, qui mentionne l’IRFM pour en fixer le plafond et l’assujettir à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale : dès lors que l’IRFM sous sa forme actuelle aura été supprimée pour être remplacée par un remboursement a posteriori des frais réellement exposés, sa mention à l’article L. 136-2 du code de la sécurité sociale apparaîtra alors plus justifiée.

21. Enfin, le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur les possibles conséquences fiscales de cette évolution. Dès lors que le montant des frais remboursés aux parlementaires ne sera plus « fixé par voie législative », le second alinéa du 1° de l’article 81 du code général des impôts, qui prévoit que les allocations dont le montant est ainsi fixé sont « réputées utilisées conformément à leur objet et ne peuvent donner lieu à aucune vérification de la part de l’administration », ne sera plus applicable. Si l’administration fiscale devait être amenée à porter une appréciation sur le caractère réel de frais ayant donné lieu au remboursement ou sur leur nature de frais de mandat, alors que les autorités compétentes des assemblées parlementaires ont, dans les conditions qu’elles ont déterminées conformément à la loi organique, considéré que ces frais devaient être remboursés, le dispositif risquerait de porter atteinte au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.

Sur le financement de la vie politique

22. Le titre IV est consacré au financement de la vie politique. Il comporte des dispositions relatives au financement des partis et groupements politiques et à celui des campagnes électorales, à la création d’un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, ainsi qu’une habilitation à créer une « Banque de la démocratie ».

En ce qui concerne les ressources recueillies par le mandataire

23. Le projet modifie la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique pour renforcer le contrôle du financement des partis. Il élargit les catégories de ressources qui doivent être recueillies par l’intermédiaire d’un mandataire en application de l’article 11 de la loi du 11 mars 1988. Cette dernière impose actuellement aux partis ou groupements de recourir à un mandataire qu’ils désignent (une association ou une personne physique) pour recueillir les « fonds » qu’ils reçoivent. Cette obligation est toutefois limitée aux « dons », elle est facultative pour les cotisations, le recueil de ces dernières par un mandataire n’ayant d’autre effet que d’ouvrir droit à la réduction d’impôt de l’article 200 du code général des impôts. Le projet fait obligation au mandataire de recueillir « l’ensemble des ressources » des partis politiques et leurs organisations. Ce périmètre englobe les aides publiques mentionnée à l’article 8 de la loi du 11 mars 1988 mais plus largement d’autres ressources : dons des personnes physiques, prêts, cotisations des adhérents, contributions des élus, contributions des autres partis politiques, dévolution de l’excédent des comptes de campagne d’un candidat, legs, produits financiers, produit d’exploitation.

Sans mésestimer les difficultés pratiques de mise en œuvre de ces dispositions, le Conseil d’État constate que l’obligation de recourir à un mandataire présente de réels avantages en termes d’exactitude et de complétude des comptes et ne contrevient pas à l’article 4 de la Constitution comme l’a jugé le Conseil constitutionnel à propos de la modification de l’article 11 de la loi du 11 mars 1988 par la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification des activités politiques (décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990).

En ce qui concerne les règles d’engagement et d’exécution des dépenses

24. Le projet impose aux partis de désigner « une personne » à laquelle incombe, préalablement à leur exécution, le contrôle des ordres de recouvrer (régularité de la recette ainsi que des réductions et annulations des ordres de recouvrer) et des ordres de payer (qualité de la personne donneuse d’ordre, disponibilité des fonds, « réalisation effective de l’opération », production des pièces nécessaires à cette justification, application des règles de prescription et de déchéance, caractère libératoire du paiement).

Le Conseil d’État constate en premier lieu que ces dispositions qui s’inspirent de celles du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique sont peu adaptées à des institutions constituées le plus souvent sous forme d’association de la loi de 1901. Le projet transpose ainsi dans la gestion des finances des partis des règles d’engagement et d’exécution des dépenses qui résultent notamment du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables et qui ont pour objet de garantir le respect par les personnes publiques des principes de la comptabilité budgétaire. Cette dernière, qui tend à la bonne exécution d’une autorisation budgétaire spécialisée dans le cadre de crédits limitatifs,  présente des caractéristiques et vise des objectifs étrangers à la comptabilité d’une personne privée. En outre, le projet ne comporte aucune précision sur le statut de la « personne » exerçant la fonction de comptable, sur son régime de responsabilité personnelle et pécuniaire, sur la garantie de son indépendance vis-à-vis de la personne disposant au sein du parti du pouvoir de prescrire l’exécution des recettes et des dépenses, ou encore sur l’articulation de son rôle avec celui du mandataire. Le Conseil d’État estime, compte tenu des interrogations sur la complétude du dispositif et sur son efficacité au regard des objectifs poursuivis par le projet, que les contraintes que ces dispositions font peser sur les partis, notamment sur leur capacité à déterminer librement leur organisation et leur fonctionnement internes, sont de nature à porter une atteinte excessive au droit des partis, protégé par l’article 4 de la Constitution « d’exercer leur activité librement ». En conséquence, le Conseil d’État écarte cette disposition.

En ce qui concerne la tenue d’une comptabilité et la certification des comptes

25. Le projet réaffirme le principe prévu par la loi du 11 mars 1988 selon lequel les partis « ont l’obligation de tenir une comptabilité » de même que celle d’arrêter leurs comptes chaque année et de les faire certifier par deux commissaires aux comptes si leurs ressources annuelles dépassent 230 000 euros, ou en deçà de ce seuil, par un seul commissaire aux comptes.Le projet ajoute que lorsque le parti ou le groupement bénéficie de l’aide publique et que ses ressources annuelles dépassent 500 000 euros, ses comptes sont certifiés par la Cour des comptes qui peut demander communication de toute pièce comptable et de tout justificatif nécessaire au bon accomplissement de sa mission de certification des comptes. Le projet octroie ainsi à la Cour des comptes un droit exclusif sur la certification des comptes des partis politiques dont les ressources excèdent le nouveau seuil introduit par le projet.

26. Le Conseil d’État rappelle, en premier lieu, ainsi qu’il a déjà indiqué « qu’à la différence de l’activité de contrôle des comptes des administrations publiques, qui constitue une prérogative de puissance publique, l’activité de certification des comptes des administrations autres que l’État constitue une activité marchande, qui doit respecter les règles de la commande publique et de la libre prestation de services. » (Avis n° 383186 du 22 octobre 2009, Projet de loi portant réforme des juridictions financières ; et n° 387459 du 4 avril 2013, Projet de loi de décentralisation et de réforme de l’action publique). Il estime que le droit exclusif conféré à la Cour des comptes ne paraît pas pouvoir être justifié par un motif impérieux d’intérêt général permettant de restreindre la libre prestation de services et la liberté d’entreprendre. Il relève que l’objectif poursuivi par le législateur de certification des comptes des partis peut être regardé comme atteint en l’état actuel du droit par le recours aux commissaires aux comptes.

Le Conseil d’État relève, en second lieu, que le projet demeure imprécis sur la portée exacte du rôle confié à la Cour des comptes. Un contrôle de gestion serait incompatible avec la liberté que l’article 4 de la Constitution confère aux partis. S’il s’agit d’une simple certification de la certification assurée en amont par les commissaires aux comptes, le Conseil s’interroge sur son articulation avec les responsabilités que la loi confère à la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques, et notamment celle de veiller à ce que l’image que les comptes certifiés donnent de la situation financière des partis ou groupements politiques n’est pas entachée d’une incohérence telle avec les données extérieures à la comptabilité des partis dont elle dispose par ailleurs, que ces partis devraient être regardés comme ayant manqué à leur obligation de déposer leurs comptes certifiés. Le Conseil d’État écarte cette disposition.

27. Le projet ne modifie pas le régime de sanction des manquements aux obligations prévues par la loi du 11 mars 1988 en maintenant la possibilité pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de priver, pour une durée maximale de trois ans, un parti ou groupement politique du bénéfice des dispositions des articles 8 à 10 de la loi et de la réduction d’impôt prévue au 3 de l’article 200 du code général des impôts pour les dons et cotisations consentis à son profit.

En ce qui concerne l’encadrement des prêts des personnes physiques

28. Le projet de loi prévoit que les prêts des personnes physiques aux partis politiques ou aux candidats ne pourront excéder une durée de cinq ans, un décret en Conseil d’État devant fixer leur plafond et leurs conditions d’encadrement de façon à garantir qu’ils ne constituent pas un don déguisé. Parallèlement, l’emprunteur devra fournir au prêteur un certain nombre d’éléments d’information quant aux caractéristiques du prêt et aux conséquences d’une éventuelle défaillance de sa part. Une copie de ces prêts devra être transmise à la CNCCFP à l’occasion du dépôt des comptes annuels ou lors de la reddition du compte de campagne. Le non-respect de ces prescriptions sera puni, pour ce qui concerne l’offre ou l’acceptation d’un prêt prohibé, d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende et, en cas de défaut de communication auprès de la CNCCFP des documents précités, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

29. Eu égard à l’objectif poursuivi par ces dispositions, qui visent à lutter contre la fraude aux règles de financement de la vie politique, notamment à celles relatives au plafonnement des dons des personnes physiques, le Conseil d’État estime, dans le prolongement de son avis du 9 février 2017, qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe de la liberté contractuelle et que les sanctions prévues ne méconnaissent pas les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

Au vu de la diversité des types de prêts envisageables, le Conseil d’État admet que la loi puisse renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de fixer le plafond et les conditions d’encadrement du prêt consenti pour garantir qu’il ne constitue pas un don déguisé.

En ce qui concerne la prohibition des prêts par des États étrangers ou des personnes morales de droit étranger

30. Le projet de loi étend aux prêts l’interdiction, prévue par les dispositions des articles L. 52-8 du code électoral et 11-4 de la loi du 11 mars 1988, de recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger.

Le Conseil d’État relève que ces dispositions ont pour objet, comme celles qu’elles viennent compléter, de prévenir les ingérences extérieures dans la vie démocratique nationale, conformément à l’article 4 de la Constitution qui énonce que les partis et groupements politiques « doivent respecter les principes de la souveraineté nationale ».

Toutefois, dans la mesure où, entendues de manière générale, elles auraient pour effet d’interdire à certains établissements de crédit ou sociétés de financement ayant leur siège social dans un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen, d’exercer une activité de prêt vis-à-vis des candidats ou partis politiques, il paraît utile, comme le fait le projet du Gouvernement après saisine rectificative, en vue de prévenir les risques conventionnels d’atteinte aux libertés d’établissement et de circulation des capitaux, d’exclure ceux-ci du champ de l’interdiction, en prévoyant que la prohibition énoncée ne s’applique pas, s’agissant de la fourniture de prêts, à ces établissements ou à ces sociétés.

En ce qui concerne la création d’un médiateur du crédit

31. Le projet de loi prévoit qu’en vue de favoriser l’accès au financement bancaire des partis politiques et des candidats, est institué un médiateur du crédit chargé de favoriser la conciliation avec les établissements de crédit.

Cette mesure n’appelle pas d’objection dans son principe, même si elle pourrait s’avérer redondante avec les dispositions du projet tendant à la création d’une « banque de la démocratie ». Elle est entourée de garanties adéquates, qui prévoient notamment que le médiateur s’assure que les demandes qui lui sont soumises présentent des garanties de solvabilité suffisantes, que le secret professionnel protégé par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne lui est pas opposable et que les éléments recueillis au cours de la médiation ne peuvent être divulgués aux tiers ni invoqués ou produits dans le cadre d’une instance juridictionnelle civile sans l’accord des parties.

Compte tenu de la nature des missions confiées au médiateur, le Conseil d’État ne retient pas les dispositions tendant à ce que sa nomination soit soumise, en application du dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, à l’avis des commissions parlementaires compétentes.

En ce qui concerne la création d’une « Banque de la démocratie »

32. Le Conseil d’État a été saisi, dans le cadre d’une saisine rectificative adressée le 7 juin au soir d’un nouvel article habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour créer une « Banque de la démocratie ». L’étude d’impact de cette disposition, au demeurant beaucoup trop sommaire, n’a été adressée au Conseil d’État que le jour même de l’examen par la section de l’intérieur.

33. Le Conseil d’État regrette les conditions dans lesquelles il a dû examiner ce dispositif. En raison de la très grande indétermination des choix du Gouvernement, qui demande au Parlement une habilitation à légiférer avant même d’avoir fait procéder à une étude préalable de faisabilité, il ne lui est pas possible d’apprécier l’adéquation de la mesure envisagée au regard des objectifs annoncés par le Gouvernement. Il relève ainsi que le Gouvernement ne justifie pas en quoi la création d’un dispositif spécifique chargé de consentir des prêts, avances ou garanties à des candidats et partis ou groupements politiques, serait nécessaire afin de garantir la transparence du financement de la vie politique, alors que le présent projet de loi crée déjà directement, aux mêmes fins, un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, et sans aucune articulation entre ces deux nouveaux dispositifs.

34. Le Conseil d’État a cependant veillé à définir avec une précision suffisante les finalités et le domaine d’intervention de l’ordonnance, sans descendre cependant dans un degré de détail excessivement contraignant au regard des finalités poursuivies, tout en respectant les principes constitutionnels. Ainsi, seule une insuffisance avérée du marché de l’accès au crédit pour les candidats et partis politiques, après intervention éventuelle du nouveau médiateur créé par le présent projet de loi, pourrait justifier une intervention sous la forme soit d’une structure dédiée, le cas échéant adossée à un opérateur existant, soit d’un mécanisme spécifique de financement. Afin de respecter la liberté d’entreprendre, tout en garantissant le pluralisme de la vie politique, un système tel qu’un appel d’offres auprès d’établissements de crédit déjà existants pourrait paraître à la fois plus proportionné au regard de l’objectif à atteindre et viable financièrement que la création d’un nouvel organisme ad hoc. Enfin, et en tout état de cause, si l’exigence de garanties d’impartialité, s’agissant du fonctionnement de ce nouveau dispositif, doit être précisée dans la loi d’habilitation, la dénomination de la structure que le Gouvernement envisagerait de créer ne relève pas du domaine de la loi.

Sur les dispositions relatives aux représentants français au Parlement européen

35. Le projet de loi prévoit, dans le texte issu de la saisine rectificative, des dispositions tendant à rendre applicables aux représentants français au Parlement européen les dispositions figurant dans le projet de loi organique rétablissant la confiance dans l’action publique, dont le Conseil d’État est parallèlement saisi, et tendant, d’une part, à mettre en place un contrôle de régularité de la situation fiscale des parlementaires nouvellement élus, et d’autre part, à renforcer l’encadrement des fonctions de conseil par les parlementaires. Ces dispositions n’appellent pas d’autres commentaires que ceux formulés sur les dispositions du projet de loi organique ainsi rendues applicables aux représentants français au Parlement européen (voir l’avis n° 393.323).

 

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du lundi 12 juin 2017.