Ouverture de la juridiction administrative à la médiation

L’ouverture de la juridiction administrative à la médiation.

Par Jean Marc LE GARS, avocat.

 

 

 

 

 

L’ouverture de la justice administrative aux modes alternatifs de règlement des différends se fait sous le double signe :

  • de la continuité ;
  • et du changement.

La continuité

Depuis qu’elle est sortie de la confidentialité, la justice administrative a toujours été confrontée à un dilemme :

  • L’explosion de la demande de justice,
  • Et, pour y faire face, des moyens limités, toujours en retard d’une guerre.

Seule façon d’échapper à l’asphyxie, mettre en place des dispositifs :

  • Destinés à prévenir le contentieux,
  • Ou à régler le contentieux en amont de la juridiction.

Le recours gracieux, formé devant l’auteur de la décision, a rapidement montré ses limites. Le recours hiérarchique aussi.
Les administrations, enfouies sous le contentieux, ont cherché à l’éviter ou, tout au moins, à le limiter. Elles ont aussi pris conscience que le contentieux n’était pas toujours la réponse la mieux adaptée. Pour la plupart, elles ont recherché des modes plus souples, plus rapides et moins coûteux de règlements de leurs différends. C’est ainsi que, ces derniers temps, elles se sont dotées de « médiateurs », de « conciliateurs » et autres « interlocuteurs », qui sont autant de personnes ou d’organismes dépendant de ces administrations mais qui disposent d’une autonomie suffisante pour leur permettre de jouer convenablement le rôle que l’on attend d’eux.
Les résultats sont loin d’être négligeables. Ainsi le médiateur du ministère de l’Économie et des Finances a reçu 7400 dossiers en 2016 et les particuliers qui l’ont saisi ont obtenu satisfaction face au fisc dans 60% des cas.
Plus transversalement et aussi plus extérieur aux administrations elles-mêmes, le Médiateur de la République et son successeur, le Défenseur des droits, ont également occupé ce terrain.

La pression contentieuse restant malgré tout très forte, et des instances de concertation telles que les commissions départementales des impôts ou les comités consultatifs de règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics ayant fait leurs preuves, la concertation pré contentieuse a, de plus en plus souvent, été confiée à des organismes collégiaux présentant par leur composition de réelles garanties d’indépendance, chargés de réexaminer le dossier et de chercher des réponses appropriées, susceptibles d’être acceptées. On peut citer à titre d’exemples, les commissions régionales de conciliation et de d’indemnisation chargées du règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux, aux affections iatrogènes et aux infections nosocomiales, les commissions de médiation intervenant pour l’application du droit au logement opposable, ou encore la commission des recours des militaires, chargée de l’examen des recours administratifs préalables aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des militaires.

Enfin, à l’initiative des collectivités territoriales et avec le concours actif des tribunaux administratifs, on a vu se créer, sui generis, des commissions de règlement amiable des litiges nés à l’occasion de grands travaux tels que la création de tramways ou de métros, ou la restructuration de quartiers de ville, par exemple.

Signe des temps, lorsqu’il s’est agi, en dernier lieu, d’instaurer de nouveaux recours obligatoires préalables à la saisine du juge, cela s’est fait sous couvert de « médiation ». Ainsi, la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, du 18 novembre 2016, a-t-elle institué une médiation préalable obligatoire aux contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle ainsi qu’aux requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi.
L’époque est donc à l’instauration, sous une forme offrant plus de garanties que les traditionnels recours gracieux ou hiérarchique, un recours administratif préalable devant un organisme collégial, rebaptisé « médiation », à l’instar de la conciliation obligatoire désormais en vigueur devant le juge judiciaire. A noter que cette médiation obligatoire est gratuite pour les parties.
Clairement, il s’agit ici de dégager ces « petits contentieux », forts nombreux, du prétoire autant que faire se peut et à moindre coût.

Le changement

Un changement culturel

Si le juge administratif, avec l’aide des pouvoirs publics, a su, sous la pression de la nécessité, organiser et mettre en place des procédés destinés à prévenir et régler le contentieux avant sa saisine, de plus en plus axés sur la concertation, il reste un noyau dur réservé traditionnellement au juge.
L’immixtion des modes alternatifs de règlements des différends dans ce noyau dur, voire même à sa périphérie, est une véritable révolution culturelle.
On touche ici à ce qui, traditionnellement, relève de l’imperium du juge. Or la notion du « pouvoir » est au cœur de l’action du juge administratif.

Juge de la puissance publique, il considère tout à la fois qu’il doit contrôler l’usage que l’administration fait de ses pouvoirs et lui permettre d’exercer ceux-ci dans le sens de l’intérêt général, tel qu’il le définit.
Cela suppose qu’il soit présent et, lui-même, doté de réels pouvoirs.
Il s’est lui-même défini comme le juge de l’excès de pouvoir. Longtemps il s’est limité au contrôle de la légalité, strictement entendue, des actes administratifs. Puis, peu à peu, il a mordu sur les choix opérés par l’administration dans l’exercice, par celle-ci, de son pouvoir discrétionnaire, étendant son contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation, puis, progressivement à l’erreur d’appréciation, ainsi qu’à des décisions longtemps qualifiées de mesures d’ordre intérieur auxquelles il se refusait de s’intéresser auparavant.
A l’imperium de l’administration s’est imposé, progressivement, celui du juge.
Les temps changent !

Le système a été conçu par le juge administratif lui-même au fur et à mesure qu’il s’affirmait en tant que tel. Il s’agissait alors d’assurer avant tout le contrôle des actes réglementaires et le nombre de recours était limité.
Le contexte n’est plus le même aujourd’hui. Le juge administratif, victime de son succès et de l’impérialisme de l’administration, est désormais confronté à un contentieux de masse portant sur des décisions individuelles. Les requérants n’ont que faire de décisions platoniques. Ils attendent du juge qu’il rende des décisions leurs reconnaissant des droits subjectifs. Rare sont ceux qui, en saisissant la juridiction administrative, ont pour but le simple contrôle objectif de la légalité d’un acte administratif !
Le juge a donc dû, progressivement, repenser ses outils. Le processus, s’il est bien engagé est cependant loin d’être achevé.

Mais l’évolution depuis un peu plus de deux décennies est remarquable.
Elle se mesure aussi dans la terminologie. Naguère, on parlait de « pouvoir du juge ». C’est désormais de « l’office du juge » dont il est question. Signe des temps !
L’administration elle-même a dû composer. Il ne s’agit plus d’imposer une décision mais de la faire accepter. La concertation est à l’ordre du jour !
Dans ce nouveau contexte, le juge administratif, pourtant jaloux de son pouvoir et habitué à trancher souverainement les litiges sur le terrain de la « légalité », a dû admettre l’intrusion de nouveaux modes de règlement des litiges, basés sur la concertation et la négociation, avec ou sans lui.
Changement de culture !
Effort d’adaptation considérable pour des esprits qui n’y étaient pas préparés !

La loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle, un nouveau départ ?

La loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle a donné le signal du grand chambardement.
Après trente ans de tâtonnements et d’occasions manquées, l’article 5 de la loi réforme en profondeur le régime de la médiation en matière administrative en créant de toutes pièces un chapitre entièrement nouveau consacré à la médiation en matière administrative, logé sous le titre Ier du Livre II du Code de justice administrative.
La loi nouvelle institue un régime unique de médiation comprenant deux volets, l’un consacré à la médiation à l’initiative du juge, l’autre à l’initiative des parties, dont la caractéristique commune est la souplesse du dispositif. La loi fixe aussi dans le marbre les principes essentiels qui gouvernent le processus de médiation.
Avec la publication des mesures réglementaires d’application, la médiation, avec ou autour de la juridiction administrative, sera ainsi dotée d’un corpus de règles complet et cohérent.
Le principal obstacle au développement de la médiation devant la juridiction administrative a ainsi été levé.

L’engagement du Vice-Président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, pour la réussite de la réforme ne fait guère de doute. Il ne manque aucune occasion d’intervenir sur le sujet pour affirmer sa détermination et il se fait bien volontiers le chantre de la réforme, appelant de ses vœux la diffusion d’une véritable culture de la médiation .
A cette fin, le Conseil d’État a mis en place fin octobre 2016, un comité « justice administrative et médiation » qui réunit des membres de la juridiction administrative ainsi que des avocats, des professeurs et des représentants de l’administration et a pour mission notamment d’identifier un réseau de tiers indépendants susceptibles d’occuper les fonctions de médiateur, d’explorer les possibilités d’orientation des litiges vers les procédures amiables, d’élaborer un guide de la médiation et de définir les actions de formation à destination des magistrats et des agents des greffes. Chacune des juridictions administratives s’est d’ores et déjà vu doter d’un « référent médiation ».

Soucieux d’organiser et de créer une dynamique interne au sein de la juridiction administrative, le Vice-Président du Conseil d’État souhaite aussi s’engager dans une stratégie de conventionnement externe afin de donner du crédit et de l’élan à la médiation. Il appelle de ses vœux une convention-cadre entre la juridiction administrative et le Conseil national des Barreaux qui serait transposée localement entre les juridictions et les barreaux locaux.
C’est là l’expression d’une volonté qui a manqué par le passé, le développement de la médiation/conciliation au sein de la juridiction administrative étant laissé à la discrétion de quelques francs-tireurs.

Cette volonté, clairement affirmée, devrait trouver un assez large écho favorable dans les juridictions puisqu’en réponse à un questionnaire qui leur a été adressé pour la préparation d’un colloque sur ce sujet en juin 2016, les deux tiers des juridictions se sont déclarées favorables au développement de la médiation.

Il restera, bien entendu, à convaincre les différents partenaires :

  • Les administrations, en particulier les administrations d’État souvent jalouses de leurs prérogatives et qui ne voient pas toujours d’un bon œil l’immixtion d’un tiers médiateur dans leurs affaires ;
  • Les élus locaux hantés par le risque pénal ;
  • Les organismes de contrôle, contrôleur de légalité et contrôleur financier ;
  • Les avocats et les assureurs, encore trop souvent réticents.

Le déclic pourrait venir des clients, notamment des entreprises et des collectivités territoriales, soucieuses de se tourner vers l’avenir et d’être débarrassées de contentieux interminables. Si, convaincues de leur intérêt, elles expriment clairement leur préférence pour la recherche d’une solution négociée, leurs partenaires, les avocats notamment, devront s’y conformer.
Enfin, il n’est pas rare désormais que les contrats comportent une clause de médiation obligatoire préalable à tout contentieux. Certains conseils avisés la prévoient systématiquement. C’est une façon de préparer l’avenir.

La médiation complément naturel à l’action du juge

On ne s’étendra pas ici sur les avantages de la médiation pour les parties :

  • La rapidité : quelques semaines, voire quelques mois comparés à des années de procès. Le temps du procès n’est pas celui de la vie réelle.
  • La souplesse qui permet de rechercher des solutions équitables, personnalisées, plus proches de la réalité du terrain, même dans le cas de contentieux de légalité (il est souvent possible de choisir entre plusieurs réponses légales).
  • Le faible coût au regard de celui des procédures contentieuses interminables…
  • Un règlement définitif du différend obtenu de manière consensuelle, la solution étant acceptée de part et d’autre de sorte qu’il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Le dialogue étant renoué, il est possible de construire l’avenir sur des bases nouvelles. Très important notamment pour les entreprises et les administrations qui peuvent retravailler ensemble…

Quant au juge, il ne peut que gagner à être débarrassé de quantités de contentieux qui encombrent son prétoire, monopolisent des moyens considérables et peuvent être traités autrement.
Il lui faut se recentrer sur ce qui doit être le cœur de son office. Le recours aux modes alternatifs de règlement des différends et, en particulier, à la médiation, ne peut que l’y aider.
Rechercher l’harmonie et la paix sociale en réglant les différends de manière consensuelle dans les meilleurs délais et au meilleur prix, de manière à ce que chacun puisse regarder devant et non plus derrière lui, n’est-ce pas là un gage d’avenir meilleur ?

Utopie ?
Non. L’expérience montre que c’est possible pourvu que chacun y mette du sien. Faut-il encore qu’il existe un cadre adapté pour permettre aux belligérants de se raccommoder. L’optimisme pousse à penser que c’est désormais le cas.
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