L’exercice de l’expertise est devenu assez risqué

L’exercice de l’expertise est devenu assez risqué.

François LAFFANOUR, administrateur de la CNE
 
Le marché de l’art a bien changé en quelques années, les galeries ont tendance à multiplier leur présence sur les foires, allant ainsi à la rencontre de leurs clients internationaux de plus en plus nombreux à les visiter.
 
Face à ce développement sans précédent, les règles et les nécessités évoluent, toutes les foires internationales clamant haut et fort l’importance de l’expertise, le fameux “vetting” qui permet de garantir aux éventuels acheteurs que les œuvres et objets présentés par les exposants sont authentiques et correspondent aux critères de qualité que la foire exige. Ces commissions d’expertise organisées avec des moyens divers, Maastricht et la Biennale des Antiquaires réunissant le plus grand nombre d’experts, les autres étant plus réduites, ont pour but de rassurer mais aussi de labelliser la foire. Parallèlement, les ventes aux enchères se multiplient, deviennent de fait de vraies références pour les acheteurs qui peuvent consulter sur leur téléphone les différents résultats de ventes à travers le monde, mettant au coeur des préoccupations le prix obtenu lors de telle ou telle vente, imposant au marché un rythme, une cote, comparable à certains phénomènes boursiers ou spéculatifs. Mais, au  delà du prix qui obsède tant l’amateur qu’il en oublie souvent de regarder la qualité, l’originalité ou tout simplement de savoir si l’œuvre lui plaît, au delà du prix, qu’ en est il de l’expertise, de l’authenticité ? Comment l’acheteur peut-il être sûr d’acquérir une œuvre, un objet authentique ? L’augmentation du nombre des foires, l’augmentation du nombre des clients, ce rythme nouveau du marché ont lentement fait évoluer aussi les critères de goût. Les clients internationaux préfèrent les foires ou les ventes publiques et le marché de connaisseurs, amateurs passionnés, tend lentement à s’estomper devant un goût plus standardisé où le prix et le caractère iconique de l’œuvre prédominent. L’accélération du temps et la multiplicité de l’offre paradoxalement ont tendance à uniformiser le goût et la demande.
 
L’exigence de transparence, d’authenticité grandissent elles aussi mais les différents acteurs du marché ont-ils les moyens d’ offrir cette garantie, les experts ont-ils les moyens et le temps d’investiguer en toute tranquillité ?
 
Ce petit tour d’horizon met en évidence la complexité d’un marché où les conditions et les critères de l’expertise ont considérablement évolué. Il faut répondre rapidement, fournir les renseignements nécessaires immédiatement et cela, dans plusieurs pays à la fois, le demandeur pouvant être la maison de vente, l’organisateur de foire ou bien l’acheteur potentiel soumis lui même au rythme rapide des offres.
Comment authentifier ou expertiser des objets passant en même temps à la vente à New-York, Paris, Singapour, Séoul, Shanghaï ou Londres ? Comment, à distance, l’expert ne pouvant se déplacer, peut-il juger d’un objet, comment éviter les pièges qu’ on peut lui tendre ? Car les pratiques de certains vendeurs malhonnêtes se complexifient, se professionnalisent. Ils n’hésitent pas à distiller aux quatre coins du monde des objets douteux, avec de fausses attributions, des légendes erronées, des documents falsifiés pour faire croire à l’authenticité d’un meuble que l’on incruste dans une vieille photo de lettres de proches, que l’on exhibe pour attester de l’ancienneté des objets, quand ce n’est pas la mise en scène avec costumes d’époque… la grand mère assise dans un fauteuil placé à dessein dans un contexte vieillot.
 
Nous sommes face à une multiplication des ventes aux enchères, multiplication des ventes sur internet, multiplication des foires internationales,multiplication des amateurs et des clients,multiplication des moyens d’information, mais aussi multiplication des faux, des faussaires, multiplication des techniques pour tromper de plus en plus perverses, multiplication des actions judiciaires et de procédés douteux en tout genre, multiplication de sites d’expertises et d’experts bidons.
 
Face à cela, le travail de l’expert devient un exercice compliqué où la distance et la réflexion si nécessaires sont souvent reléguées au second plan par manque de moyens, de temps mais aussi par crainte d’être piégé et de devoir se défendre devant les tribunaux. Combien d’ayants-droit n’osent dire ou protester par crainte de poursuites ou tout simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer avocats et huissiers ? Les conflits d’intérêts sont aussi un frein à la bonne expertise car souvent l’expert marchand, fin connaisseur du marché et des objets, se voir reprocher d’agir pour des raisons autres que celles de l’expertise,et devant la difficulté de juger, un confrère préfère s’abstenir pour éviter tout conflit. L’ absence de cadre juridique, permettant à tout un chacun de se proclamer expert, vient encore compliquer la tâche car c’est le client qui en fait souvent les frais, se faisant abuser par ces prétendus experts qui valident des prix et des objets sans aucune garantie. Il y a bien les experts auprès des tribunaux mais ils n’interviennent qu’en cas de conflit et jamais en amont au moment des ventes et des foires. Ce paysage très sombre de l’expertise a conduit la Compagnie Nationale des Experts à réagir en créant un code de déontologie, en sélectionnant ses membres après enquête et en exigeant des critères de compétence comme l’ancienneté, l’expérience et aussi un champ réduit des compétences à deux spécialités au maximum.Malgré la prudence qui doit animer chaque expert, il arrive aussi que son implication soit involontaire ou détournée par le simple fait qu’il ne se manifeste pas lors d’une vente ou d’une ex-position, son absence ou sa présence étant utilisée comme une sorte d’ authentification puisqu’il ne s’est pas prononcé. Il est évident que la quantité d’objets proposés sur le marché rend impossible une observation globale de l’offre et l’expert ou le sachant ne peut en être tenu responsable ou bien même censé avoir validé un objet par son silence ou son ignorance de sa présentation sur le marché. Il peut tout au plus, quand il en a connaissance, adresser un courrier exprimant ses réserves et demandant plus de recherche sur la provenance. Force est de constater que peu de gens tiennent compte de ces questions et préfèrent prendre le risque de vendre, sachant que toute procédure coûtera cher et fera hésiter avant de l’entreprendre. Il y a aussi les différences de législations qui d’ un pays à l’autre autorisent toutes les dérives.
 
Au delà des problèmes humains, relationnels et politiques, l’expertise se réfugie de plus en plus derrière l’expertise scientifique et technique qui paraît une solution intéressante et impartiale, sauf qu’en matière d’objets on peut la contourner en employant des matériaux anciens et des techniques anciennes pour masquer le faux.
 
La transparence chère à nos sociétés modernes peut se retourner, grâce aux moyens techniques, pour finalement reléguer l’expert à un rôle subalterne alors que sa subjectivité, son savoir, sa connaissance doivent toujours être pris en compte. On peut penser aujourd’hui que l’exercice de l’expertise est devenu assez risqué.
 
Il faudrait revoir le statut de l’expert, protéger le titre, harmoniser les responsabilités des commissaires-priseurs et des experts en matière de prescription. Et ne faudrait-il pas que chaque exposant de salon s’engage par écrit sur les objets qu’il présente au lieu d’attendre que du fait de son exposition ils acquièrent le label du salon ?
 
Réfléchir à une charte qui permettrait de responsabiliser davantage le vendeur ? Et tenter que les ventes publiques présentent au niveau international des  garanties qu’elles ne donnent pas aujourd’hui.
 
Avril 2017