Par Nicolas Le Rudulier
le 20 Mai 2017
L’opposition à un acte de notoriété acquisitive dirigée contre le possesseur de l’immeuble doit être déclarée infondée dès lors que son auteur n’est pas en mesure d’apporter la preuve de son droit de propriété.
Civ. 3e, 14 janv. 2015, FS-P+B, n° 13-22.256
À l’exception de la démonstration d’une usucapion, la preuve de la propriété immobilière est impossible à rapporter. Parce que la portée du titre de propriété de l’ayant cause est conditionnée à la qualité de l’aliénateur qui dépend elle-même de celle de son auteur, la preuve du droit de propriété est souvent présentée comme une probatio diabolica. La question se résout donc essentiellement dans un conflit de présomptions consistant à emporter, non la certitude du juge mais sa conviction en lui soumettant des moyens de preuve supérieurs à ceux de la partie adverse.
En ce domaine, la jurisprudence a peu à peu dégagé ce qui peu être présenté comme une hiérarchie probatoire et dont le présent arrêt constitue une nouvelle illustration.
En l’espèce, les consorts L… reprochent à la cour d’appel d’avoir déclaré infondée leur opposition à l’acte de notoriété acquisitive portant sur la propriété du lot d’un immeuble et dressé au bénéficie des consorts G… Pour ce faire, le pourvoi conteste l’usucapion en remettant en cause les deux critères qui le fondent : le corpus et l’animus.
Ainsi, de manière assez audacieuse, le pourvoi considère que le fait pour les possesseurs d’avoir habité depuis au moins 1978 l’appartement litigieux qui de surcroît était porté à leur compte cadastral et pour lequel ils payaient depuis cette date l’impôt foncier ne constitue pas des actes matériels ayant une importance telle qu’ils traduisent l’exercice factuel du droit de propriété. Les différents témoignages attestant de cette occupation et la reconnaissance par les consorts G…, dans une précédente instance, de leur qualité de propriétaires étant, selon le pourvoi, tout aussi impropres à caractériser une possession au sens de l’article 2261 du code civil.
Pourtant, la preuve du droit de propriété peut être rapportée par tous moyens (V. Civ. 1re, 11 janv. 2000, n° 97-15.406, D. 2001. 890 , note A. Donnier ; RDI 2000. 145, obs. M. Bruschi ; RTD civ. 2002. 121, obs. T. Revet ; JCP 2000. I 265, n° 2, obs. H. Périnet-Marquet ; Defrénois 2000. 37196, obs. C. Atias), permettant ainsi de faire valoir des attestations (V. Civ. 3e, 20 juill. 1988, n° 87-10.998, Defrénois 1989. 359, obs. Souleau ; 17 avr. 1991, n° 89-15.898, RTD civ. 1992. 804, obs. J. Patarin ; ibid. 1995. 400, obs. F. Zenati ), des références cadastrales (Req. 25 oct. 1911, DP 1913. 1. 119 ; Civ. 3e, 28 oct. 1987, n°86-13.624, D. 1989. somm. 31, obs. Robert) ou encore le paiement des impôts fonciers. Si le doute peut persister en présence de seulement l’un ou l’autre de ces éléments probatoires, il se résorbe à mesure que s’accumulent ces preuves qui vont ainsi créer un faisceau d’indices dont la contestation par une personne dépourvue de titre, comme en l’espèce, paraît bien délicate, si ce n’est vaine.
Il eut donc été possible à la troisième chambre civile de renvoyer au pouvoir souverain d’appréciation dont disposent les juges du fond pour régler ces conflits et ainsi rejeter le pourvoi.
Mais la contestation de la propriété d’autrui ne peut être valablement entendue qu’à condition d’être soi-même en mesure de fonder une revendication sur le bien immobilier en cause. Dès lors, lorsqu’aucune des deux parties ne dispose d’un titre au soutien de ses prétentions, c’est sur le terrain de la possession que trouvera à se régler le conflit. C’est ce que met exergue la décision de la Cour de cassation en indiquant « qu’ayant constaté que les consorts G… étaient en possession du bien et que les consorts L… n’établissaient pas que ce bien, échu à leur grand-père en 1913, était demeuré dans leur actif successoral ni qu’il avait fait l’objet d’un prêt à usage consenti aux auteurs des consorts G…, la cour d’appel, qui en a déduit que l’opposition à l’acte de notoriété acquisitive […] n’était pas fondée et qui a ordonné sa publication à la conservation des hypothèques, a, par ces seuls motifs, sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision ».
Une hiérarchie dans les moyens de preuve est ainsi réaffirmée au profit du possesseur lorsque l’autre partie n’a rien d’équivalent à lui opposer. À égalité, la cause du possédant est préférable.
Cette décision doit être pleinement approuvée puisque toute autre solution eut conduit à inverser la charge de la preuve en exigeant du possesseur qu’il établisse son droit de propriété chaque fois que celui-ci est attaqué y compris par des personnes incapables de justifier de leur contestation. Une telle solution se contente de faire primer la possession, mais ne fonde en aucun cas le droit de propriété.